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Prajnâ, clef du mondo sur la perle brillante
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Dans le chapitre du Shôbôgenzô intitulé « une perle brillante » (ikkamyôju), maître Dôgen rapporte ce mondo particulièrement profond entre un maître et son disciple :
Le disciple ne comprend pas les paroles de son maître car il en a une approche mentale, s’applique à les comprendre à partir du raisonnement et d’une démarche basée sur les concepts. C’est ce qu’explique maître Dôgen en citant cet autre kôan : « lorsque pousse un brin d’herbe, l’univers entier s’y révèle ; en chaque pore de la peau bat la pulsation de la vie des trois mondes ; cela est saisi par prajnâ (la connaissance transcendante), d’une façon immédiate, non au moyen d’un raisonnement (vijnanâ) ». Aussi longtemps que le disciple n’aura pas abandonné vijnanâ, le raisonnement et l’approche conceptuelle qui lui sont propres, s’ouvrir à prajnâ lui sera impossible et, sans prajnâ, réaliser les grandes vérités de la Voie telles que « l’univers entier est une perle brillante » ou « l’infiniment grand et l’infiniment petit ne font qu’un », lui sera impossible. Le passage de vijnanâ à prajnâ, de « la caverne du démon de la montagne noire » (l’approche mentale) à la connaissance (jna) transcendante (pra), s’opère quand on cesse d’enfermer la conscience dans le réseau des concepts et qu’on la laisse s’ouvrir à son infinitude naturelle, mettant ainsi en pratique ce principe bien connu du processus cognitif selon lequel « le semblable connait le semblable ». En d’autres termes, c’est la parenté de nature existant entre prajnâ et la réalité ultime qui permet de comprendre la réalité ultime de l’univers. Seule une conscience revenue à son infinitude originelle peut assentir et réaliser que « l’univers entier est une perle brillante », seule elle peut en donner une expérience directe. A la question du disciple : « que signifie l’expression que l’univers entier est une perle brillante ? », Gensha répond par une tautologie : « cela signifie que l’univers entier est une perle brillante ». Le disciple ne comprend pas davantage. Et pour cause : il est resté enfermé dans « la caverne du démon de la montagne noire », c’est-à-dire resté au niveau de vijnanâ, d’une conscience naturellement portée à raisonner, à définir les choses en les comparant les unes aux autres et qui par conséquent butte inévitablement sur un énoncé qui défie le bon sens et la logique. L’approche de prajnâ, l’intuition transcendante, n’est pas de cette nature. Elle se situe d’emblée au-delà des différenciations du fait de sa capacité » à « voir » directement, sans la médiation du raisonnement, la nature absolue des choses, en l’occurrence celle de l’univers. Pour prajnâ, l’univers comme tel est la manifestation sensible de la conscience originelle, de la perle brillante de la nature de bouddha et on ne peut rien en dire d’autre qui soit aussi fondamental. La tautologie employée par Gensha, à l’instar d’autres maîtres ch’an et zen, invite à abandonner vijnanâ, permettant que par hishiryo et le dépouillement induit par zazen, « la caverne du démon de la montagne noire » devienne elle aussi la perle brillante. Gérard Chinrei Pilet (Février 2025) |
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