Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
Les notions de karma et de fatalité sont-elles compatibles ?

Dans le précédent article du mois, nous évoquions le fait que, si le mot karma est rentré à présent dans le vocabulaire courant de nos sociétés occidentales, la notion de fatalité à laquelle il est associé est totalement contraire à ce qu’il désigne en réalité, à savoir la loi de la rétribution des actes en vertu de laquelle la nature bonne ou mauvaise de nos pensées, paroles et actions engendre des effets de même nature à court, moyen ou long terme.
Le karma ainsi compris, loin d’annihiler la liberté de l’homme comme pourrait le laisser entendre son association avec l’idée de fatalité, montre au contraire que chaque homme est la cause de sa bonne ou mauvaise fortune, qu’il en est lui-même le constructeur et l’architecte. Les notions de sort, de destin et de fatalité, souvent avancées dans nos sociétés occidentales pour expliquer les événements heureux et les circonstances favorables ou au contraire les événements malheureux et défavorables rencontrés au cours d’une vie humaine, toutes ces notions contredisent le principe du karma. Cela n’a pas échappé à maître Deshimaru, ainsi qu’en témoignent ces lignes : « dans la philosophie orientale, dit-il, le karma revêt une signification différente de la fatalité, de la destinée telle qu’elle est comprise en Occident. La destinée dans la terminologie européenne assigne à chaque être un sort réglé par un pouvoir souverain sur lequel l’homme n’a aucun contrôle. Cette idée de fatalité relève de l’ignorance personnelle à l’égard de toute compréhension du système cosmique. Le pouvoir créateur du cosmos, dont dépend le karma, existe en nous-mêmes. Nous pouvons le comprendre et le connaître. Le fatalisme est illusion produite par l’imagination ignorante de l’homme ».
Quand l’homme réalisera que lui seul est la cause de sa bonne ou mauvaise fortune et pas la chance ou la malchance ; quand il réalisera qu’il ne doit blâmer personne en cas d’épreuves ni remercier une force extérieure à lui-même en cas de bonne fortune ; quand il prendra pleinement conscience qu’il est libre de former son futur en prêtant dans le présent une attention à la nature de ses actes, de ses paroles et de ses pensées, il approchera de la vérité de sa vie et de la responsabilité qui lui échoit d’un pas plus assuré et avec un esprit plus clair. Il cessera alors de se prendre pour un chanceux né sous une bonne étoile ou à l’inverse pour la victime innocente d’un destin funeste et totalement arbitraire. Le futur d’un homme se construit au présent par le biais des activités dans lesquelles il s’engage et des pensées ou sentiments qui les suscitent et leur font prendre forme. Pour s’assurer que le futur sera pour nous porteur de bonheur et nos entreprises bénéfiques à tous, il n’est que de se montrer fidèle tout au long de notre vie aux « trois purs préceptes » transmis par le Bouddha, à savoir « ne pas faire le mal, faire le bien et purifier ses intentions ». Associés à la pratique régulière de zazen, ils sont une boussole fiable pour nous guider avec assurance dans notre voyage vers « l’autre rive ». Ainsi, loin d’être identifiable à la fatalité, la loi du karma est au contraire l’expression du fait que l’homme est fondamentalement libre et responsable de sa vie.
Le pratiquant de la Voie doit être particulièrement vigilant à repérer l’ensemble des croyances, façons de penser, préjugés et présupposés de l’époque et dans la culture dans lesquels il est immergé. Leur imprégnation, puissante et subtile, influence d’autant plus notre vision du monde, de nous-même et de la vie qu’elle se fait le plus souvent à notre insu et peut s’avérer être un obstacle à la compréhension et l’assimilation des vérités du Dharma.
Dans le Shôbôgenzô Zuimonki, maître Dôgen se fait l’écho de cette difficulté s’agissant de la manière restrictive dont ses disciples comprennent le sens du mot esprit : « apprentis de l’éveil, si vous n’appréhendez pas l’éveil, dit-il, c’est que vous croyez toujours en vos propres vues erronées. Vous êtes convaincus – sans même savoir qui vous l’a enseigné à l’origine – que l’esprit est une activité cérébrale et vous ne croyez pas que l’esprit est les herbes et les arbres. »
C’est la surimposition de la croyance en la fatalité sur le mot karma qui peut constituer pour nous un obstacle à sa juste compréhension.

Bonne rentrée à toutes et à tous

Gérard Chinrei Pilet

(Septembre 2024)




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