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Connecter l’éthique à ses racines spirituelles
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Le propos développé par maître Dôgen dans le chapitre du Shôbôgenzô intitulé Shoaku makusa («ne pas faire de mauvaises actions») décrit comment le respect des préceptes finit par devenir naturel chez le pratiquant.
Voici ce qu’il en dit : « en se laissant transformer par l’enseignement et l’écoute de l’éveil complet et parfait sans supérieur, on souhaite ne pas faire de mauvaises actions et on se met à pratiquer le précepte de ne pas faire de mauvaises actions. En continuant à pratiquer le précepte de ne pas faire de mauvaises actions, vient un moment où les mauvaises actions ne se font plus, et ainsi la force de la pratique se réalise comme présence ». En d’autres termes, si un sujet enclin à commettre de mauvaises actions met pleinement en pratique le précepte de ne pas faire de mauvaises actions, arrive un moment où l’inclination à commettre de mauvaises actions disparaît d’elle-même. Ainsi, ce qui était vécu au départ par le sujet comme une interdiction devient, par la pratique, une seconde nature : le sujet cesse de faire de mauvaises actions non plus parce qu’il s’interdit de les faire mais parce qu’il ne peut plus les faire, les faire étant devenu contraire à sa nature. Par le pouvoir de la pratique, le précepte est devenu pour lui réalité vivante, ce que Dôgen exprime en disant que « tel est le principe de la Voie selon lequel d’une trituration (c’est-à-dire d’une pratique) se dégage une dynamique », c’est-à-dire une transformation intérieure qui fait passer du respect formel du précepte (je m’interdis de faire de mauvaises actions) à la liberté intérieure propre au stade où « les mauvaises actions ne se font plus ». Comme le dit encore maître Dôgen à ce sujet, « au bouddha comme cause, bouddha comme effet ». Ou, pour le dire autrement : « si on se comporte en bouddha, on devient bouddha ». Ce passage du précepte vécu comme interdiction au précepte respecté « inconsciemment, naturellement, automatiquement » s’opère par la vertu de la répétition, de la persévérance avec laquelle on se met « à pratiquer le précepte de ne pas faire de mauvaises actions ». C’est ce sur quoi insiste aussi maître Deshimaru en ouverture de son commentaire du chapitre gyoji du Shôbôgenzô : « il faut continuer les bonnes choses et couper les mauvaises jusqu’à la mort. Dans le sutra des repas, on chante i kui dan issai aku : une cuillerée pour couper les mauvaises actions ; nikui shu issai zen : la deuxième cuillerée pour pratiquer les bonnes choses avec autrui. Il est important de continuer, répéter, c’est gyoji ». A cela s’ajoute zazen, pierre angulaire de la Voie du zen qui, pratiqué avec constance, nous rend intime avec la nature de bouddha et avec la capacité de celle-ci à faire fondre les bonnos (les illusions, les attachements) en nous révélant la nature illusoire de l’ego et notre unité avec toutes les existences. Comment faire délibérément le mal quand l’autre n’est plus vécu comme l’autre ? C’est en ce sens que maître Deshimaru disait que « zazen inclut tous les préceptes ». Cela ne signifie pas que le seul fait de pratiquer zazen nous immunise contre la possibilité de faire le mal mais qu’en tant que manifestation intérieure de l’esprit de bouddha, il inclut toutes les perfections éthiques qui sont inhérentes à celui-ci. Ainsi, respect des préceptes et pratique de zazen se complètent harmonieusement ; ils sont comme la face extériorisée et la face intériorisée du visage originel et constituent ce qu’on peut appeler les racines spirituelles de l’éthique. Gérard Chinrei Pilet (Avril 2024) |
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