Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
Se sauver ou être sauvé ?

Le bouddhisme japonais distingue en son sein deux grands courants désignés respectivement par les termes jiriki et tariki.
Jiriki, que l’on peut traduire par « notre propre pouvoir », caractérise le zen qui nous invite à nous affranchir de dukkha et du cycle des naissances et des morts en réalisant notre véritable nature par une pratique assidue de la méditation assise, zazen.
Tariki, que l’on peut traduire par « le pouvoir de l’autre », caractérise le bouddhisme de la Terre Pure, appelé aussi amidisme en référence au fait que dans ce courant on s’en remet pour son salut au pouvoir compatissant du bouddha Amida auquel on adresse notre dévotion et dont on récite avec foi le mantra qui lui est associé : namu amida butsu (vénération au bouddha Amida).
A propos de cette distinction entre jiriki et tariki, qui peut se montrer pertinente à un certain niveau, maître Dôgen fait observer qu’elle est toutefois dépassée dans le zazen qui est à la fois jiriki et tariki. Il est jiriki puisqu’en zazen, on tourne son regard vers l’intérieur sans attendre quoique ce soit d’extérieur à soi et que l’on fait l’effort de tenir sans bouger cette posture exigeante au fil des minutes que dure la séance et de répéter celle-ci jour après jour avec une détermination sans faille. Sans cette persévérance dans l’effort personnel, la Voie du zen nous échappera toujours. Il nous faut, pour reprendre les mots de maître Dôgen, « tirer notre propre anneau nasal », sans demander à quiconque de le faire à notre place. Le pouvoir de nous libérer est entre nos mains, celui de rester prisonniers de l’illusion aussi.
Mais zazen est aussi tariki, expression du « pouvoir de l’autre » car en zazen nous sommes aussi invités à abandonner l’ego, nous ouvrant ainsi à cette réalité infinie et inconditionnée dont l’ego ne pourra jamais se saisir, quelque soient ses efforts pour y parvenir. De ce point de vue, on peut dire qu’en zazen l’ego est invité à laisser la place à cet autre que lui qu’est la bouddhéité originelle. Comme le disait Enô, le sixième patriarche chinois, « je ne sauve personne, c’est bouddha qui sauve ». Personne n’a le pouvoir de sauver quiconque et personne, considéré en tant qu’ego, n’a le pouvoir de se sauver lui-même. C’est bouddha, sis au plus intime de nous-mêmes, qui sauve de l’illusion égotique. Dans le même sens, on peut dire que seul zazen fait zazen. Considérer qu’un moi/je fait zazen, c’est tourner en rond dans l’illusion égotique en faisant obstacle au bouddha qui sauve et qui seul peut sauver. C’est pourquoi mushotoku, la pratique sans esprit de profit personnel et sans but, c’est-à-dire sans visée volontariste, est si important. Sans mushotoku, c’est l’ego qui rafle la mise. Avec mushotoku et l’effacement de l’ego qui le caractérise, s’ouvre toute grande la porte « au pouvoir de l’autre » qui, bien que n’étant l’autre qu’en apparence, a toutefois seul le pouvoir de sauver de l’illusion égotique. Bouddha sauve parce qu’il est depuis toujours sauvé. Etant ultimement bouddha, nous sommes donc déjà sauvés mais pour que cela soit effectivement réalisé, encore faut-il que l’ego laisse la place à ce qui, « en l’humain transcende l’humain ».
Ainsi, jiriki et tariki sont les deux faces de zazen, aussi indispensables pour réaliser la Voie que le sont les deux ailes à l’oiseau pour lui permettre de voler librement dans le ciel infini.

Gérard Chinrei Pilet

(Novembre 2023)




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