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Comment vivre et comment mourir ?
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Le couple saisie/rejet, attachement/refus s’immisce souvent dans notre existence mais c’est sans doute dans notre rapport à la vie et à la mort qu’il s’y manifeste le plus fortement sous la forme d’un attachement puissant à la vie et, corollaire inévitable, d’un refus tout aussi puissant de la mort. C’est encore plus marquant dans notre société occidentale moderne où l’univers mental des individus est fortement imprégné de l’idéologie matérialiste dominante. Il en résulte un penchant marqué à chérir au plus haut point la vie et à honnir tout autant la mort ; assimilée par beaucoup à un retour total au néant : à une plage éphémère de vie, bref éclair dans la nuit, succède le gouffre du néant. Telle est, grosso-modo, la représentation erronée et source de beaucoup d’angoisses et d’insatisfaction, que se font de la vie et de la mort beaucoup de nos contemporains.
La vérité sur cette question, énoncée par le Bouddha et dont maître Dôgen se fait l’écho dans le chapitre shoji de Shôbôgenzô, est tout autre : « c’est, dit-il, une erreur de penser que la vie se transforme en mort. La vie est la condition d’un moment, toujours et déjà avec son avant et son après. Par conséquent, dans le Bouddha/Dharma, la vie est sans commencement ( fusho en japonais, c’est-à-dire non-né ). La mort également est une condition temporelle qui a également son avant et son après. Ainsi la mort est non-mort ( fumetsu en japonais, c’est-à-dire non-destruction, non extinction ). Quand il y a vie, il n’y a rien d’autre que vie. Quand la mort arrive, il n’y a rien d’autre que mort. Par conséquent, quand il y a vie, laissez la vie être la vie. Quand la mort arrive, faites-lui face et offrez-vous à elle. Ni aimer l’une, ni haïr l’autre. Cette vie-mort est la vie même de bouddha. Si vous la haïssez, vous perdez la vie même de bouddha. Si vous vous assujettissez au samsara, vous perdez également la vie de bouddha et il ne vous restera alors qu’un bouddha sans vie ». « Laisser la vie être la vie », c’est accueillir en totale acceptation les évènements qu’elle nous présente. Notre vie est telle qu’elle est, avec les circonstances et les évènements qui lui sont propres, inhérents à notre karma ou comme conséquences proches ou lointaines de certains choix. S’il s’agit d’évènements heureux, ne nous y attachons pas car le vent a vite fait de tourner ; s’il s’agit d’épreuves, ne laissons pas nos refus coloniser notre esprit et notre cœur si nous ne voulons pas faire flamber dukkha encore un peu plus, récoltant colère, amertume ou ressentiment ; laissons-nous plutôt enseigner par elles. Ne tombons pas non plus dans la victimisation qui ne fait que nous enfermer dans un ego souffrant. En laissant la vie être la vie, nous pouvons la traverser sereinement, quels que soient les évènements qu’elle nous présente. Si nous procédons ainsi avec la vie, nous sentirons la vie même de bouddha au cœur même de cette vie. S’agissant de la mort, la recommandation de maître Dôgen est tout aussi claire : « quand la mort arrive, faites-lui face et offrez-vous à elle ». S’offrir à elle, c’est-à-dire abandonner le désir de continuer à vivre alors qu’il est l’heure de mourir. Ainsi, on peut mourir sereinement en sentant la vie de bouddha présente au sein même de la mort. Alors, la mort est seulement la mort, un des moments de la vie de bouddha. Quand, par l’abandon des attachements et des refus, notre conscience s’élève à sa plus vaste dimension, nous ressentons qu’un troisième terme transcende la dualité vie/mort. Ce troisième terme, c’est la vie de bouddha. Ne rétrécissons pas notre vie en l’enfermant dans la bulle de l’ego, laissons-la se déployer dans sa pleine et entière réalité en acceptant d’un vrai oui et la vie et la mort. Concernant ce que maître Dôgen appelle « la grande question de la vie et de la mort », ne cherchons pas de réponses relatives, elles nous laisseront sur notre faim ; cherchons la réponse ultime, celle que seule la réalisation de notre véritable nature infinie et inconditionnée peut nous donner. Gérard Chinrei Pilet (Mai 2022) |
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