Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
Que faire face à « ce qui arrive » ?

Dans le chapitre du Shôbôgenzô intitulé Yui butsu yo butsu (seul Bouddha connaît Bouddha), maître Dôgen cite ce mondo entre un disciple et son vieux maître :
« que faire quand des centaines de milliers de myriades de choses arrivent tout d’un coup ? », demande le disciple.
« ne leur faites pas obstacle », répond le maître.
En d’autres termes, abandonnons toute résistance Intérieure, ne faisons pas écran à ce qui se produit. Des évènements sont apparus, laissons-les être ce qu’ils sont sans projeter sur eux nos préférences et nos refus, sans les qualifier de bons ou de mauvais. Ainsi, n’étant pas « égotisés », ils perdent aussitôt leur pouvoir de nous mettre dans tous nos états. C’est seulement quand nous y faisons intérieurement obstacle qu’ils ont le pouvoir de nous agiter et de nous faire perdre toute équanimité, voire dans les cas extrêmes toute lucidité. S’ajoute à cela que, plus nous y faisons obstacle, plus nous renforçons la tendance à y faire obstacle, convaincus que nous sommes alors que ce qui nous arrive est la cause de notre souffrance alors qu’elle est à imputer à notre résistance. Une fois installé, ce cercle vicieux a le pouvoir de nous « pourrir » la vie, de nous mettre en permanence sur le qui-vive ou dans la peur « de ce qui va encore nous tomber dessus ». La vie nous apparaît alors comme une litanie sans fin de problèmes puisque nous projetons sur l’extérieur les soi-disant problèmes qui ne sont en fait que la face extériorisée de notre problème à accepter ce qui est et ne peut être évité puisque déjà produit.
En déduction de ces observations apparaît comme primordiale la relation que nous entretenons avec les évènements qui surviennent dans le moment présent et, celui-ci étant indissociable de notre vie, la relation que nous entretenons avec la vie elle-même: relation pacifiée et harmonieuse si les évènements qui se présentent sont accueillis sans résistance, relation conflictuelle et douloureuse dans le cas contraire. Cela ne signifie pas qu’il faille rester sans agir mais, si nécessité il y a, qu’il faille le faire à partir d’un climat intérieur d’acceptation de ce qui est. C’est un tel climat qui permet l’émergence d’une sorte de sagesse innée de nature à poser des actes adaptés à la situation et dharmiquement justes.
On voit donc que le choix entre résistance ou acceptation de ce qui nous arrive est décisif, non seulement parce qu’il décide du caractère heureux ou malheureux de notre existence mais aussi parce qu’ultimement, derrière notre relation à ce qui arrive, c’est notre asservissement ou notre liberté à l’égard de l’ego qui se joue. En effet, la résistance aux évènements qui se présentent, en focalisant la conscience sur ces évènements, l’amène à ne concevoir le temps que comme une infinie succession de moments différents, bons ou mauvais. En revanche, quand cette résistance est abandonnée, la conscience se dilate et s’ouvre naturellement à sa vastitude originelle, lui donnant alors du temps l’expérience d’un éternel présent, ce qu’il est en effet fondamentalement ( l’atteste le fait que toute notre vie se déroule dans le présent, le passé n’étant qu’un moment présent mémorisé et le futur un moment présent imaginé ). Cette expérience de l’éternel présent change tout, non seulement parce qu’étant une expérience de plénitude, elle exorcise nos remous émotionnels au contact de ce qui arrive, mais aussi parce qu’elle libère du lien égotique en nous mettant à distance des pensées relatives au passé et au futur qui sont directement à l’origine de l’impression illusoire qu’existe un ego doté d’une identité permanente. Le Bouddha a débouté cette illusion en affirmant qu’« à chaque instant nous naissons et nous mourons » et l’expérience de l’éternel présent favorisée par l’acceptation de ce qui se présente ne fait qu’enraciner plus profondément en nous cette grande vérité. Dans le même ordre d’idées, être un avec ce qui arrive développe en nous le sentiment de notre unité avec tout l’univers. A l’opposé, y faire obstacle exacerbe l’illusion de la séparation et le sentiment d’incomplétude qui en découle.
Ainsi, la recommandation de « ne pas faire obstacle aux centaines de milliers de myriades de choses qui arrivent tout d’un coup » a une très grande portée spirituelle pour qui la met en pratique. Ainsi que le dit maître Dôgen en commentant la parole du vieux maître, « laisser les choses advenir sans s’agiter, c’est le plus court chemin menant au Bouddha-Dharma ».

Gérard Chinrei Pilet (Novembre 2021)




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