Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
Engagement sur la Voie et souci du lendemain

Ce qui ressort des enseignements de maître Dôgen sur l’Eveil, c’est qu’il faut pour le réaliser, non seulement une pratique assidue, inspirée par une foi profonde, mais aussi un esprit de total abandon. Par total abandon, il entend remettre sa vie entre les mains du Dharma et du Bouddha, déposer à leurs pieds nos soucis du lendemain, nos inquiétudes concernant l’avenir et nos attachements divers cachés au plus profond de notre cœur-esprit, tous ces travers n’étant, dit-il, rien d’autre que la conséquence d’un aveuglement à la réalité de l’impermanence et de la mort. Il rappelle à ce propos qu’à son époque, aux disciples sollicitant du maître un enseignement, celui-ci répond toujours en préambule : « l’impermanence avance à grands pas. La question de la ronde des naissances et des morts est votre grande affaire », insistant ainsi sur le fait qu’une vision aigüe de l’impermanence est en mesure de recentrer la conscience sur l’essentiel. Quant au souci du lendemain et à l’inquiétude concernant l’avenir, ils sont un obstacle pour l’Eveil car, outre un manque de lâcher-prise, ils sont aussi révélateurs d’un déficit dans la réalisation du contentement sans objet, lequel a la vertu d’éradiquer la peur et de guérir le mental de ses incessantes et stériles divagations.
Précisant son propos sur ce total abandon, il dit dans le Shôbôgenzô Zuimonki : « lorsque vous aurez abandonné, ne serait-ce qu’un jour ou qu’un instant, au profit du Dharma de Bouddha, cette vie qu’il faudra de toute façon bien finir par abandonner, vous aurez avec certitude produit votre bonheur éternel ». Quelques lignes plus loin, il ajoute : « sans un tel esprit et en dépit d’un apparent détachement du monde et d’un semblant d’apprentissage de l’Eveil, vous ne vous éveillerez pas si vous vous mettez à faire l’apprentissage du Dharma de Bouddha avec hésitation et avec, au fond de vous, le souci de vous vêtir en été et en hiver et l’inquiétude de votre existence du lendemain ou de l’année prochaine ».
Par l’expression « se mettre à faire l’apprentissage du Dharma de Bouddha avec hésitation », maître Dôgen entend « vouloir à la fois les affaires mondaines et l’Eveil ». C’est le cas quand notre engagement sur la Voie n’est pas total, quand notre esprit est intérieurement divisé, partagé entre un appel pour la Voie et un intérêt pour des activités en lien direct avec les grands attachements mondains que sont l’ambition, le désir de mener grand train, la recherche de la renommée, de la richesse, du profit et du pouvoir. Tous ces attachements ne font qu’attiser les préoccupations séculières, décentrant ainsi l’esprit de la Voie et faisant courir à celui qui en est prisonnier le risque de « passer sa vie en vain ». L’homme ainsi divisé intérieurement est comparable à celui qui rame pour quitter la rive tout en ayant son embarcation solidement amarrée au quai. Gagner le grand océan de l’Eveil suppose larguer toutes les amarres. Tous les Eveillés, qui ont l’expérience directe de ce qu’ils enseignent, disent d’une même voix que dans le domaine de l’Eveil les demi-mesures ne sont pas possibles. L’homme dominé par l’ego aime bien négocier, abandonner ceci tout en gardant cela mais, s’agissant de l’Eveil, de telles manœuvres sont vaines. C’est à prendre ou à laisser : ou on dépose entièrement le fardeau des attachements ou on en reste prisonnier.

Gérard Chinrei Pilet (Octobre 2021)




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