Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
La patience

La patience est la capacité à accepter la souffrance (physique ou psychologique), l’attente, l’incertitude mais aussi à supporter les épreuves, les privations ou les provocations en ne répondant pas aux insultes, aux menaces ou à la violence, en ne rendant pas le mal pour le mal.
Elle est, avec le don, l’éthique, l’effort, la concentration et la sagesse suprême, la troisième des paramita (vertus transcendantes) enseignées par le Bouddha. Sa portée dépasse infiniment celle de la morale et le simple souci de rendre l’ego compatible avec les exigences de la vie en société ou les codes de bonne conduite en vigueur.
En effet, en tant que paramita, la patience est, avec les cinq autres, ce qui permet d’« aller au-delà » de l’ego et des souffrances et illusions qu’il génère. Son contraire, l’impatience, est en effet une des marques de l’ego, lequel veut voir ses désirs réalisés au plus vite, supporte mal les contraintes et ne courbe pas facilement l’échine devant les aléas des circonstances ou les épreuves du destin. Comme conséquence naturelle de ces dispositions, l’impatience s’accompagne d’une cohorte de plaintes et de complaintes en tous genres bien caractéristique du peu d’aptitude de l’ego à l’acceptation vraie. Qui est assez vigilant pour observer ses réactions intérieures s’aperçoit vite que quand la patience fait défaut, on se plaint de tout et de rien, à vrai dire de tout ce qui tombe sous la main : qu’il fait chaud, qu’il fait froid, que le repas servi n’est pas bon, que le samu qui nous est confié est fatigant, que le logement qui nous est attribué n’est pas celui qu’on voulait etc…
Combien de fois, en zazen, maître Deshimaru n’a-t-il pas répété à l’adresse de ceux qui bougeaient : « don’t move, don’t move, patience very important on the buddha’s way ! ». Sans patience, le développement spirituel est impossible. Sans elle, l’ego continue de régner en maître. La Voie nous demande d’apprendre à être patient avec les choses telles qu’elles sont, à l’extérieur et à l’intérieur de nous-mêmes : être patient avec tels évènements qu’il n’est au pouvoir de personne de changer dans l’immédiat, être patient avec l’inconfort physique d’un zazen par temps de canicule, en compagnie des mouches ou des moustiques, tandis que la sueur perle tout le long de l’échine. En ces circonstances, être patient consiste à abandonner préférences et rejets et à rester assis dans la dimension spacieuse que le lâcher-prise instaure à l’intérieur de soi. Que des plaintes ou complaintes surgissent, elles sont observées en tant que simples phénomènes dans l’espace ouvert créé en soi par l’observation neutre. Cette sagesse transcendante (prajnâ, la sixième paramita), où on reste immobile et impassible au milieu du tourbillon des pensées et des réactions intérieures, est la source vive d’où peut émerger la patience en tant que paramita, que vertu transcendante qui conduit au-delà de l’ego. Quoiqu’il se produise dans le corps et le mental, prajnâ perçoit cela en tant que simples phénomènes conditionnés et conséquemment les accueille en tant que tels. Percevant le conditionné en tant que conditionné, prajnâ nous introduit par contraste à l’expérience de l’inconditionné, nous permettant ainsi de réaliser qu’il n’est aucun phénomène qui mérite qu’on monte au sixième ciel ou sombre au trente-sixième dessous. Cela réalisé, des tensions se dénouent, des conflits s’apaisent et cesse la confusion de l’esprit ignorant qui s’affaire à n’en plus finir à sélectionner ce qui à ses yeux mérite d’être accepté ou ce qui ne peut l’être. Qu’on se comprenne bien : cela ne signifie pas que nous approuvions tout ce qui se passe en nous ou à l’extérieur de nous, cela signifie qu’avec la patience se développe la capacité à rester paisible et équanime au milieu de tout cela, sans pour autant rester passif. Paix et patience vont main dans la main. L’une ne va pas sans l’autre. Si le moment présent et ce qui s’y trouve sont acceptés tels qu’ils sont, sans attente d’un après, la paix s’ensuit immanquablement.
Ainsi, la sagesse transcendante (prajnâ) éveillée par zazen inclut virtuellement les cinq autres paramita, dont la patience. En sens inverse, cultiver dans son quotidien la patience développe en nous la capacité à s’ouvrir davantage en zazen à l’espace inconditionné de prajnâ. Plutôt que de voir zazen et la vie quotidienne comme séparés, voire comme opposés, la Voie nous invite à découvrir et approfondir leur précieuse complémentarité.


Gérard Chinrei Pilet (Avril 2021)




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